Plante absinthe

Vous avez déjà goûté de l’absinthe ?

Dans ma tête, c’était un alcool inquiétant : étrange, dangereux, tellement fort qu’il rend fou.

…jusqu’à ce que j’en goûte pour la première fois, il y a quelques mois, chez un ami.

Je ne m’y attendais pas, mais le goût est subtil, herbacé (légèrement amer) :  c’est rare de trouver autant de « couches » de parfums dans les autres apéritifs du commerce.

Entre l’anis, la gentiane et la mélisse.

Elle se boit doucement, à petites gorgées, et elle a un effet presque vivifiant. Pas de poids sur le ventre ou de maux de tête, juste une sensation de chaleur diffuse, d’énergie.

Au tout début, c’était un médicament

D’ailleurs au tout début, l’absinthe était surtout un mélange médicinal. (on ne peut pas en dire autant de la bière, du vin rouge ou du whiskey…)

C’est un pharmacien et une herboriste qui ont créé la première recette.

Une synergie de plantes digestives, rassemblées autour de la Grande absinthe (Artemisa Absinthium) : petite absinthe, anis vert, fenouil, mélisse, hysope, angélique, génépi, camomille, menthe, coriandre, véronique, calamus… et macérées pendant une nuit dans de l’alcool pur.

feuille absinthe

Aujourd’hui, chaque famille a sa recette et garde jalousement ses proportions pour elle.

Une fois séchées, les plantes sont donc macérées pendant une nuit dans de l’alcool de bouche, puis distillées. Au sortir de l’alambic, le mélange se change en un liquide pur, aux alentours de 60-70°C d’alcool.
Imaginez-vous que pour fabriquer 60 litres d’absinthe à 60°C, il faut une journée entière dans un alambic comme celui-là :

production absinthe

Presque « trop » puissante

On retrouve une bonne partie des propriétés de la feuille d’absinthe dans cette liqueur…et il y en a beaucoup :

  • Anti-nauséeuse et calmante pour l’estomac, elle est bien utile pour traiter les gastrites (calme les brûlures)
  • Tonique amère, on la conseille aux malades et aux convalescents pour retrouver l’appétit
  • Antiparasitaire et vermifuge (en Grèce antique c’était courant de faire boire aux enfants une décoction d’absinthe mélangée à du miel, pour tuer les vers)
  • Lutte contre la fièvre et les infections virales, comme la grippe
  • Soulage les douleurs de règles
  • Stimulante de l’organisme en général, elle aide à lutter contre la fatigue

On mettait à peine quelques gouttes de cette liqueur dans la gourde des soldats français pendant la Guerre d’Algérie, et ça suffisait à purifier leur eau, et à prévenir le risque de malaria, de dysenterie, de diarrhées…

Juste infusée dans de l’eau, c’est presque imbuvable tellement c’est puissant, amer, herbeux. Si vous avez déjà essayé de froisser une feuille d’absinthe entre vos mains, vous voyez de quoi je parle. L’odeur camphrée reste sur les doigts pendant des heures…

Mais mélangée aux dix autres plantes, et macérée dans un peu d’alcool, c’est tout autre chose. Son goût est méconnaissable, parfaitement harmonieux, rond.

Alors beaucoup y ont pris goût ! (peut-être un peu trop… 🙂 )

Boisson de l’inspiration ?

Moins chère que du vin, légèrement euphorisante grâce à la thuyone qu’elle contient (une molécule qui a quelques similitudes avec le THC contenu dans le cannabis, par exemple) : l’absinthe devient vite l’alcool préféré des peintres, des poètes et des artistes, au XIXe siècle.

Verlaine, Rimbaud, Van Gogh, Gauguin, Degas… Tout le monde s’y met !

Paule verlaine
Paul Verlaine devant son verre d’absinthe, le stylo à la main

L’absinthe devient une « inspiratrice » qui aide le cerveau à explorer ses idées les plus spontanées et qu’on sert dans tous les bars.

C’est à cause de ça qu’elle a été interdite

Le problème… C’est que l’absinthe reste un alcool, et très fort. Entre 60 et 80°C, quand même ! À partir d’une certaine dose, évidemment, ça devient toxique.

En plus, au XIXe, les absinthes clandestines circulent beaucoup : avec des alcools de mauvaise qualité, parfois frelatés, des quantités de thuyone 4 fois supérieures à la normale, des plantes non sourcées…  D’autant plus que c’est très facile de masquer le goût d’un mauvais alcool avec des herbes aux goûts si puissant.

On accuse l’absinthe de pousser les buveurs à la violence, la déraison, l’emportement, de causer des dommages irréversibles sur le cerveau…
C’est de là que vient sa réputation d’alcool qui rend fou. 

Alors en France et en Suisse, on l’interdit, en 1914.  

Pas plus dangereuse que le Pastis, le Ricard, le Génépi…

Mais on se rend bien vite compte que le principal problème avec l’absinthe… Ce n’est pas l’absinthe, justement, c’est l’alcool dans lequel on la fait macérer.

Trop fort, consommé en trop grandes quantités, de trop mauvaise qualité… Ce n’est pas le cerveau qui est touché de folie, mais le foie qui souffre en premier (comme pour tous les alcools) !

Quelques études sont lancées pour vérifier, et elles sont unanimes : mêmes les dosages de thuyone les plus élevés constatés dans les absinthes clandestines (200 mg/L) ne sont pas suffisamment forts pour provoquer des dégâts neurologiques. [1]

En résumé, l’absinthe ne serait pas plus menaçante que n’importe quel autre alcool, tant qu’on en boit dans des quantités raisonnables. [2]

C’est après la publication de ces études que l’absinthe est redevenue légale. Depuis 2000 en France et 2005 en Suisse.

Aujourd’hui, les distilleries sont suivies super strictement pour s’assurer de la qualité de leurs liqueurs.
La production artisanale est repartie de plus belle, et de nombreuses familles continuent d’en distiller selon les règles de l’art :

absinthe ramassee
Absinthe ramassée à la main  // Philippe Martin, qui distille son absinthe avec des plantes de sa région, dans le Val de Travers

Si vous avez envie de goûter…

Si vous avez envie de gouter à l’absinthe, sachez d’abord qu’il en existe deux sortes : la blanche et la verte.

verre absinthe
À gauche, une absinthe blanche et à droite, une absinthe verte

La technique de fabrication change, et le goût final aussi.

La blanche est plus douce. On se contente simplement de distiller l’alcool qui a macéré avec les plantes sèches toute une nuit, elle est ensuite embouteillée directement au sortir de l’alambic.
Selon moi, pas besoin d’y ajouter un sucre, son parfum est déjà très rond, tel quel (celle de chez Larusée est particulièrement délicate).

La verte est plus amère, plus puissante. Aux étapes précédentes, on ajoute une seconde macération avec des tiges fraîches, à la sortie de l’alambic : c’est ce qui lui donne sa couleur verte. Pour la boire, je vous conseille d’y ajouter un sucre ou un demi-sucre.

Il n’y a pas que l’alcool

Bien sûr, vous pouvez toujours utiliser votre absinthe en infusion, pour toutes ses vertus digestives. Après un repas chargé, ou le matin pour commencer la journée (contre les maux d’estomac ou la perte d’appétit, c’est une des plantes les plus efficaces que je connaisse).

sachet absinthe

Mais pour éviter que son amertume ne vous fasse tirer langue, voilà mes 3 conseils : 

1.     Mettez-en une toute petite quantité dans votre tasse

L’équivalent d’une pincée ou deux, ça suffit, croyez-moi 🙂  le goût et les propriétés sont assez puissants, pas besoin d’en mettre des tonnes. Elle ne se dose pas comme les autres tisanes !

2.    Ne laissez pas infuser plus de 2 minutes

On m’avait prévenue, je n’y croyais pas, et j’ai laissé infuser mon petit bout de feuilles presque 10 minutes : imbuvable. Vraiment trop amer. N’hésitez pas à retirer vos feuilles rapidement, même si l’eau de votre tasse n’est pas encore colorée par la plante !

3.    Ajoutez une bonne cuillère de miel

C’est encore le meilleur moyen de couper court à l’amertume : une belle cuillère à café de miel et ça passe tout seul 🙂

Le goût est particulier, vous me direz ce que vous en pensez 🙂

À très vite,

Mathilde Combes

PS : évidemment, mieux vaut boire avec modération, un verre d’absinthe suffit largement pour profiter de son goût et de ses bienfaits !

 

[1] https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02459122/document
[2] https://jeanyvesnau.com/2013/02/14/absinthe-le-formidable-mea-culpa-de-lacademie-nationale-de-medecine/