main cueille ortie

Chère lectrice, cher lecteur,

En ce moment, on redécouvre la cueillette sauvage.

C’est comme si les journalistes et les auteurs s’étaient pris de passion pour nos forêts.

Regardez :

Article hommes sauvagesArticle fil vert article tendance article herbes sauvages article retour nature articles frénésie citadine

 

Ça fait plaisir à voir bien sûr.

Mais ça me fait sourire quand j’entends parler de « découverte »…

…et quand je vois des critiques culinaires s’extasier sur des feuilles de pissenlit…

5 millions d’années de cueillette

Aujourd’hui on est habitué à acheter nos légumes, parfois à les faire pousser.

Mais à l’échelle de l’Histoire, ça ne fait pas très longtemps qu’on a commencé à manger des légumes cultivés : 5000 ans qu’on cultive des légumes en Europe, 10 000 ans au Moyen Orient.

Alors qu’on cueille des plantes sauvages depuis environ 5 millions d’années ! (ça fait 1000 fois plus 🙂)

Alors non, cueillir des plantes sauvages n’est pas original, décalé ni farfelu…

Quand rien ne pousse, allons cueillir !

J’ai découvert que jusqu’au XIXe, jusqu’à ce que l’agriculture devienne intensive, les plantes sauvages c’étaient jusqu’à la moitié du régime alimentaire quotidien. [1] Pendant les périodes de « creux », les familles allaient tout simplement faire un tour dans les bois pour compléter leur assiette 🙂Les plus modestes pouvaient tenir jusqu’au retour des beaux jours avec ce qui poussait autour.

En février-mars-avril, quand les stocks de l’hiver étaient épuisés et que la nouvelle récolte d’été n’était pas encore prête à être ramassée (rares sont les variétés qui produisent au tout début du printemps) : on se servait des plantes sauvages pour  «faire le pont» !

Au lieu des épinards d’été on prenait des épinards sauvages (les très bons chénopodes).
Au lieu des choux et des tubercules d’hiver, des orties bourrées de vitamines.
Pour épaissir la soupe des tiges bien charnues et nourrissantes de pourpier.
Pour manger quelque chose de plus nutritif et rassasiant une soupe de lichen, et même parfois d’écorces (il y en a plein de délicates qui se mangent).

« C’est un truc de marginal »

A partir du XXe siècle, tout change.

Par la magie des pesticides et des engrais épandus en masse, les rendements agricoles deviennent gigantesques.

Plus besoin de berce, d’égopode, et de plantain pour se nourrir : il y a du blé, des patates et des betteraves à très bas coûts.

On s’est mis à moins manquer de nourriture.

Les plantes sauvages sont devenues des « mauvaises herbes » à éliminer des cultures.

On les assimile d’un coup à la « nourriture du pauvre », alors que les légumes cultivés, au contraire, sont vus comme des productions hyper précieuses, fruits de mois de travail et de soin.

Retour de bâton

Mais au fil du temps, on a commencé à se rendre compte des nombreux effets secondaires de cette agriculture de masse:

  • Surproduction (aujourd’hui, on produit tellement qu’on ne sait plus quoi faire de la nourriture… j’ai lu qu’au Québec, en mars 2020, les producteurs de lait ont dû jeter 5 millions de litres de lait en 2 semaines !) [2]
  • Érosion des sols
  • Disparitions de centaines d’espèces d’abeilles et de coccinelles, d’escargots
  • Pollution des cours d’eau et contamination des nappes phréatiques à cause des engrais
  • Extinction des espèces locales

Mais aussi de son impact sur nos organismes : hausse des maladies auto-immunes, baisse des nutriments dans les légumes, maladies neurodégénératives…

Ces dix dernières années on cherche carrément à revenir à l’agriculture d’avant, celle où on n’utilisait pas autant de procédés contre nature : petites exploitations, permaculture, cueillette… L’idée est de se défaire du modèle agricole que l’on a construit pour être productif.

Le retour en grâce des herbes sauvages (la roue tourne)

La cueillette est apparue dans ce contexte, comme une petite bulle de sécurité et de liberté.

Après avoir été considérée comme hostile, voilà que la nature sauvage redevient un refuge.

Un endroit où le stress n’a pas lieu d’être, ou les bruits n’ont rien à voir avec la frénésie de nos villes.

Un lieu où les saisons se suivent doucement et où il n’y a pas d’autre logique que celle de la vie (et de la mort) des organismes vivants.

Alors aujourd’hui beaucoup rêvent de marcher en forêt, s’imaginent cueilleurs comme les hommes et les femmes d’avant, veulent réapprendre à mettre des plantes sauvages dans leur assiette.

Et comme ils ont raison, comme vous avez raison si c’est votre cas ! On considère enfin les plantes sauvages pour ce qu’elles sont : des herbes précieuses, libératrices.

La mauve, la consoude, l’amarante, l’oxalis, le chénopode… Elles ont tant de goût (souvent plus que leurs cousines cultivées) que les chefs étoilés les utilisent de plus en plus en cuisine, comme Marc Veyrat, comme Régis Marcon, comme Pierre Caillet…

Les stages de cueillette et de découverte se multiplient aux quatre coins de la France et du monde, les reportages et les films qui leurs sont consacrés sont de plus en plus nombreux.

Et c’est tant mieux 🙂

Ça n’a rien avoir avec une nouvelle mode, c’est un retour aux sources

Donc moi, quand on me dit « ah oui, la nature c’est à la mode » je réponds que ça n’a rien avoir avec une tendance passagère. C’est un retour à ce que nous sommes profondément.

Des êtres vivants, qui mangent, respirent, et grandissent au même rythme que leur environnement.

Se nourrir et se soigner avec de l’ortie, du millepertuis, du sureau… c’est la logique même. Pour nous comme pour les hommes d’il y a quelques centaines d’années.  Ça n’a rien de « sophistiqué », c’est au contraire très simple.

Aller cueillir en forêt c’est beau parce que c’est instinctif. Marcher à pas lents, passer sa main sur les feuilles qu’on croise au passage, couper deux ou trois tiges avec un mouvement sec du poignet, puis rentrer chez soi, les couper avec douceur et les manger…

… quelle joie face à l’uniformité grise, sans goût, sans odeur, et sans textures de notre monde industriel !

A très vite,

Mathilde Combes

 

[1] Benard Bertand, Cueillette sauvage, Ed. plume de carotte, 1965
[2] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1690995/producteurs-jeter-lait-coronavirus-prix