Il y a 4 siècles, quand on voulait se désaltérer en fin d’après-midi, on ne buvait pas de coca ni d’eau pétillante. Pas de limonade non plus.

Pas de mélanges avec des bulles de CO2 injectées dedans.

Tout simplement parce que ça n’existait pas !  Et puis la bière coûtait une fortune.

À la place, dans les foyers et dans les villages, dans les Vosges, dans le Beaujolais, à la montagne, on faisait : de la « bière » d’épinette.

Un petit mélange fermenté naturellement et qui se gardait bien à la cave, fait à partir d’un résineux qui a un goût de pomme et de citron.

On le sortait pour l’apéritif et une fois sur deux, il vous explosait entre les mains à l’ouverture ! Ce n’était pas bien grave parce que c’était hyper bon, bien rafraîchissant.

Si ça pétille autant, c’est parce qu’on l’a laissé fermenter tranquillement dans sa bouteille.

Pamplemousse sur une branche

Pour que le mélange commence à pétiller, il vous faut juste une espèce de conifère particulière : l’épinette du Canada.

Cet arbre-là ne paie pas de mine quand on le voit de loin : feuillage sombre, port étrange… Et pourtant, au goût, c’est un des meilleurs que j’aie goûtés.

Son parfum est bien citronné et floral, très peu amer (le cueilleur qui me l’a montré parle de « pomme » et je suis d’accord avec lui ; c’est fou !).

En fait, c’est un des résineux qui a le goût le plus fort selon moi.

Toutes ses branches sont recouvertes de ferments naturels qui aident à « lancer » la fermentation. C’est très important que les branches soient encore vives quand vous les cueillez (que la sève circule encore dedans) et pas déjà mortes ou tombées en sol : c’est ça qui va lancer toute la magie du processus.

Connaissez vos sapins

Je n’ai pas grandi à la montagne, j’avoue que les sapins… ce n’est pas exactement mon truc.

Je connais mieux les tilleuls et les chênes.

Mais avec le temps, j’ai fini par développer mes petites techniques pour m’y retrouver au milieu de tous ces arbres que je n’ai pas vu en grandissant.

Pour différencier l’épinette du Canada des autres, voilà comment je m’y prends (pas besoin d’être un grand botaniste, vous allez voir).

1.    Aiguilles minuscules et très foncées

En fait, l’épinette a sûrement les aiguilles les moins remarquables des conifères. Un peu courtes, assez sombres : le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles n’attirent pas vraiment l’œil… Voilà une petite comparaison pour que vous vous rendiez compte :

Vous voyez sur la photo : ses aiguilles ne dépassent jamais les 1 à 2 centimètres. Elles sont d’un vert très foncé, presque noir quand on les regarde de loin.
Celles du Nordmann sont plus robustes et brillantes, celles du pin douglas sont d’un vert moins sombre, et celles de l’épicéa sont plus longues et d’un vert plus tendre.

2.    Pas la même couleur recto/verso

Recto… et verso !

Si le dessus est vert profond, la partie inférieure des aiguilles est d’un vert presque argenté. C’est un bon moyen de la différencier du douglas et de l’épicéa (la couleur est exactement la même des deux faces).

3.    Plate comme une limande

Les aiguilles de l’épinette sont disposées complètement à plat sur leur branche. Elles ne recouvrent pas toute la circonférence de la branche.

C’est plus clair en photos :

Les aiguilles de l’épinette, disposées à plat sur la branche
Les aiguilles du douglas, qui parcourent tout le tour de la branche

Le doux art de la fermentation : un peu de patience

Une fois que vous êtes sûr d’avoir le bon arbre entre les mains, il ne vous reste plus qu’à vous armer d’une belle bouteille en verre (bien solide) et d’un peu de patience.

Dans votre bouteille, versez 1L d’eau et 1L de jus de pomme : ce sont les sucres naturels du jus qui vont permettre la fermentation. Faites rentrer vos branches entières (à peu près 3) dans votre bouteille comme vous pouvez : ce n’est pas évident mais on y arrive, vous verrez !

Ajoutez une cuillère à soupe de miel pour aider encore un peu plus à fermenter et une pincée de sel pour empêcher le développement de mauvaises bactéries.

Refermez la bouteille, puis laissez-la 3 à 4 jours dans votre cuisine, plutôt à l’ombre.

Au bout de ces trois jours, quand vous commencez à voir les premières bulles, mettez votre bouteille au frigo encore pour 3 jours.

Au 6e jour, le mélange est prêt à boire 🙂 !

Ne vous en faites pas si la bouteille explose un peu, c’est le signe que la fermentation a bien fonctionné !

Vous verrez de fines bulles se déposer le long des parois de votre verre, c’est elles qui vont donner au mélange toute sa fraîcheur.
On dirait un mélange entre un hydromel, un jus de pomme et un kombucha.

La première fois que j’ai goûté ça, j’étais presque surprise : c’est vraiment bon.

Comme une limonade, mais en plus « pur »

Ce mélange-là, c’est un peu la version « pure » d’une limonade.

Le pétillant d’avant. Avant toutes nos innovations pour ajouter des couleurs, du goût et des arômes à des mélanges qui n’en ont pas. 

Il y a bien mois de sucre, pas besoin d’ajouter du gaz carbonique ou des conservateurs ; les bonnes bactéries de la fermentation réparent nos intestins plutôt que de les irriter, et l’épinette contient plein de vitamine C que préservent les basses températures.

A la vôtre et à très vite !

Mathilde Combes