morelle noire

J’ai goûté « la tomate du diable ».

Une espèce de tomate sauvage, de la même famille qu’elle, mais complètement noire, plus sucrée et de la taille d’un petit pois : la morelle noire.

Si vous tapez son nom sur internet, vous verrez, c’est très perturbant : la moitié des sites mettent en garde contre les possibles risques qu’il y a à manger ses fruits, l’autre donne des recettes pour l’accommoder (en gelée, en compote, en tarte…), en louant son petit goût acide et ses propriétés médicinales.

Ce qui est étrange, c’est que même les encyclopédies les plus « sérieuses » ne semblent pas d’accord entre elles.

Alors, je me suis dit que j’allais faire le test… moi-même ! (et intelligemment, rassurez-vous : le but n’était pas non plus de donner mon corps à la science )

On en mangeait en France il y a un siècle, et maintenant c’est un poison ?

Voilà à quoi ressemble la coupable :

morelle noire
                                  Photo prise hier soir, dans mon jardin                                  Un autre plan, moins exposé au soleil, encore en fleurs

Elle n’a pas l’air très effrayante comme ça, c’est vrai.

Pourtant… Elle fait partie de la même famille que la Belladone (une des petites baies les plus toxiques qui soit) : les solanacées. Exactement comme la tomate, l’aubergine et la pomme de terre.

Là où ça se complique, c’est que toute la plante n’est pas toxique tout le temps. Ce qui pourrait expliquer qu’on la considère comme immangeable aujourd’hui : on ne connait plus ses subtilités, alors on préfère s’abstenir complètement. Je m’explique :

– Ses feuilles contiennent une petite dose de solanine (un poison à haute dose). Sur le long terme, ça peut avoir un effet nocif. Mais la cuisson le neutralise presque entièrement : on mange les feuilles telles quelles au Nigéria, en Australie et à la Réunion. La morelle noire fait partie de la recette traditionnelle grecque des « horta » : une salade de légumes feuilles cuits, recouverts de jus de citron, d’huile d’olive et accompagnés de fêta.
On la cultive même expressément pour ses feuilles en Afrique subsaharienne… Quand j’ai lu ça, je me suis dit qu’elle était toxique surtout pour ceux qui ne savaient pas comment la préparer !

– Ses fruits, quand ils sont encore verts, sont hyper concentrés en solanine. En manger une dizaine reviendrait à s’intoxiquer gravement. Mais une fois qu’ils sont mûrs… La quantité de solanine chute complètement : on en fait des « câpres » en les laissant mariner dans le vinaigre en Méditerranée, des confitures et des coulis dans plein de pays anglo-saxons et en Allemagne.

Maintenant on laisse les oiseaux se servir à notre place

Trop compliquée à accommoder, moins charnue qu’une tomate, plus « risquée » qu’une pomme de terre… Tout ça fait qu’on a oublié la morelle noire petit à petit. Pourtant, ce n’est pas faute de la voir partout : c’est une plante hyper coriace, qui s’adapte à beaucoup de types de sols, et qu’on voit beaucoup en ville, au bord des chemins, collée aux maisons…

morelle noire

Cette petite tomate au goût de myrtille nous laisse complètement indifférents, quand elle ne nous fait pas carrément peur.

Alors que beaucoup d’encyclopédies lui attribuent toute une liste de propriétés médicinales :

–    Sédative : contre l’excitation, le stress et les problèmes d’insomnie
–    Contre les ulcères et les problèmes gastriques, elle ferait des miracles en particulier sur les dyspepsies (les estomacs fatigués)
–    Frotté directement sut la peau, contre l’eczéma, les plaies, les furoncles, les panaris…

Mais tout ça ne fonctionne que si on l’utilise correctement… Sinon, c’est sûr, le remède se transforme en poison.

J’en ai mangé une, pas mille

Parce que je voulais en avoir le cœur net, et parce que ces recettes me tentaient beaucoup, j’ai décidé de cueillir quelques baies (en vérifiant qu’elles étaient toutes bien noires = hyper mûres) dans mon jardin.

J’ai commencé par une dose presque homéopathique : je suis curieuse, mais pas suicidaire 🙂

Certains sites prétendaient qu’en fonction de la composition du sol, mêmes les baies les plus mures pouvaient contenir des doses élevées de solanine (le poison). Alors j’y suis allée doucement : je me suis fait une mini portion de coulis de morelle noire.

morelle noire
Quand elles sont très mûres, les éclatent entre les mains quand on les cueille. Elles ressemblent un peu à des petites myrtilles.
baies toxiques

J’ai ensuite ajouté 2 cuillères à café de sucre, puis glissé mes baies dans une casserole (je préfère le cuire, parce que la cuisson permet d’encore réduire la concentration en solanines, si jamais il en restait).

morelle noire toxique
Je les ai bien écrasées, pour faire sortir leur jus et les réduire en purée.
morelle noire
Elles ont beaucoup plus de pépins que les myrtilles

Vous verrez, leur couleur change en cours de cuisson : le jus devient violet très intense, c’est normal. Au bout de 20 minutes, ça ressemble presque à de la confiture de mûres :

morelle noire

Et voilà le résultat dans mon petit pot :

confiture morelle noire

Une dose de laboratoire vaut mieux qu’une nuit à l’hôpital

Je n’ai goûté que la moitié de ce que vous voyez sur la cuillère, par précaution. Pour voir ce qui se passait, et pour vérifier que je n’étais pas en train de m’intoxiquer.

Ça c’était hier soir, et… tout va bien pour l’instant 🙂
Demain, j’en prendrai une entière, puis deux, et ainsi de suite !

Je ne vous le répèterai jamais assez : avec les plantes sauvages, il faut rester prudent. Alors si vous tentez l’expérience chez vous (ce qui n’est vraiment pas obligatoire : je trouve les myrtilles meilleures, et elles poussent aussi dans la nature en ce moment 🙂), s’il vous plaît : allez-y à tâtons, sans en manger des kilos à la fois.

Petit goût de myrtille et d’orange

Le goût est étonnamment sucré, je dirais qu’il se rapproche de celui d’une myrtille, mais avec un petit goût d’agrumes à la fin, légèrement amer, un peu citronné.

J’aime bien.

Est-ce que ça vaut le coup de tenter toute cette aventure pour ce goût ? Hm… Je ne sais pas. Je trouve les mûres ou les myrtilles tout aussi bonnes, et avec elles, au moins, pas de risque !

Par contre, je trouve ça beau de se rendre compte qu’il y a littéralement un fruit rouge qui pousse dans nos villes, près de nos chemins, à l’état sauvage. J’aime l’idée de le redécouvrir, même si je pense que je ne me ferai que 2-3 pots de sa gelée.

Bonne journée,

A très vite,

Mathilde Combes