planter un arbre

Elzéard Bouffier est un vieil homme qui a passé toute une vie à enfouir des glands en terre.

Chaque jour à l’aube, il partait se balader avec une tige de fer, qu’il enfonçait par endroits dans la terre meuble du matin. Dans chaque creux, il déposait un gland minuscule. Un futur chêne.

Planter une forêt de ses mains, c’est beau… mais ça n’existe pas

À chaque promenade, 100 glands dans sa poche. Les plus beaux, sans insectes, sans moisissures : bien lisses, et prêts à germer.

A ses 20 ans, Elzéard habitait une plaine. À 50, une jeune pépinière et à 80 ans : une forêt dense, remplie d’arbres adultes en pleine santé.

Cette histoire m’a toujours fait rêver. Elle enthousiasme et on a envie d’y croire ! Planter une forêt, c’est si simple et ça a l’air si beau !!

Sauf que… Elzéard est un personnage de roman.

C’est le personnage principal de L’homme qui plantait des arbres, de Jean Giono, dont je vous recommande la lecture si vous êtes un amoureux de la nature.

Quand on veut planter une forêt dans la vraie vie… les choses sont un poil plus compliquées. Et je trouve que certaines ONG ont l’air de l’oublier.

Le roman et… la réalité

C’est un peu une tendance en ce moment. Planter des arbres, partout, dès que possible : tout le monde s’y met.

  • Des ONG bien sûr (comme celle-ci : Trees Forever, The Bonn Challenge, The Nature Conservancy, et des dizaines d’autres…)
  • Mais aussi des marques de chaussures (!), comme Faguo qui plante un arbre à chaque paire vendue, de vêtements, des grandes entreprises comme Vinci autoroutes… Il y en a trop pour les citer.
  • Des compagnies aériennes (Easyjet)
  • Les moteurs de recherche s’y mettent aussi ! Comme Ecosia, version écologique et prétendument « verte » de Google, qui reverse 80% de ses bénéfices à la reforestation
  • Même Donald Trump, climato-sceptique notoire, a déclaré son amour pour l’initiative « 1000 millions d’arbres » lancée en janvier 2020  !! [1]

Vous ne savez pas quoi en penser, j’imagine.

Car l’idée est belle, elle est enthousiasmante. On se dit qu’on contribue à sauver la planète, à absorber le CO2 qui pollue l’atmosphère, à reverdir la planète, etc.

Mais si on l’instrumentalise pour se faire de la publicité, alors elle perd beaucoup de son charme.

Surtout… si les arbres sont plantés n’importe comment !

Encore faudrait-il planter des arbres comme il faut

Parce que la plupart du temps, ce que l’on plante, ce ne sont pas des « forêts », justement. D’ailleurs le roman de Giono ne s’appelle pas « L’homme qui plantait des forêts » : ce que plante Elzéard, ce sont des arbres.

Une forêt, c’est tout un écosystème avec des espèces différentes, des couvre sols, des arbustes, et des arbres qui fonctionnent en harmonie les uns avec les autres.

Ce que ces ONG et ces entreprises plantent ce sont …des plantations : des lignes monotones du même arbre, à l’infini. Des monocultures.

Vous avez déjà vu une forêt de sapins plantée par l’homme, dans les Beaujolais par exemple ? Des rangées de sapins Douglas alignés au cordeau, qui ne laissent aucune chance aux arbustes à leurs pieds pour pousser, ni au soleil de passer entre leurs branches épaisses.

Quand on se promène dessous, le paysage est presque lunaire :

foret

Bien planter, ou ne rien planter du tout

Si on plante des milliers d’arbres au mauvais endroit, dans un sol ou une région où il est rare à l’état sauvage, on casse complètement le fragile équilibre qui s’était installé.

Je vous donne un exemple : celui de l’Eucalyptus au Brésil.

On en a planté des quantités astronomiques de ces arbres, à perte de vue, au sud de l’état de Bahia, sur le sommet de montagnes.

–    Les eucalyptus ont besoin de tant d’eau qu’ils assèchent littéralement les cours d’eau près desquels ils poussent,

–    Ils grandissent très vite, en 6 ans, ils sont prêts à être coupés. Le problème c’est qu’ils absorbent tous les nutriments du sol. Quand ils finissent par être coupés, ils laissent derrière eux une mer de souches mortes, une terre pauvre, fatiguée, stérile,

–    Ils ont besoin de quantité astronomiques de glyphosate pour vivre si proches les uns des autres sans maladie

–    Les arbres de la région ne repoussent pas sur le sol laissé vide après 6 années de pousse, à cause de l’épuisement du sol.

En résumé : la reforestation à l’aveugle, a le même effet que la déforestation.

Un grand photographe paysager le dit mieux que moi :

« Je ne puis imaginer d’entreprise plus insipide que de planter des arbres dans une zone qui en est naturellement dépourvue, et d’imposer une interprétation de la beauté naturelle sur un grand paysage chargé de beauté et d’émerveillement, et de l’excellence de l’éternité. » [2]

Alors, comment faire pour planter des arbres?

1.    Si vous voulez faire des dons à des ONG qui plantent des arbres, choisissez-les bien !

J’aime bien celle-ci, personnellement : reforestACTION. Pour plusieurs raisons :

–    Elle a un fonctionnement un peu différent des autres : chaque particulier peut à son échelle s’inscrire pour planter quelques arbres, là où il peut. Pas de risque de monoculture intensive si chacun plante quelques arbres avec ses petits moyens.

–    Au moins un tiers de l’équipe qui travaille à ce projet est constituée d’ingénieurs agronomes qui collaborent avec les bénévoles pour guider leurs actions. Ils veillent à la durabilité de ces forêts, et à l’intégration des essences d’arbres dans des régions qui leur correspondent.

–    Leur site est extrêmement clair quant aux actions menées par l’ONG, vous pouvez consulter par vous-même le rapport d’activité et les dernières missions menées.

2.    Si vous voulez planter un arbre chez vous

La règle d’or, c’est de ne pas trop serrer vos plantations. Ce qui permettra aux arbres de ne pas être « étouffés » par leurs voisins, et de ne pas se battre pour la lumière. Ce qui a tendance à freiner leur croissance et à les rendre plus fragile.

Pour planter un arbre ou deux 

–    Les petits arbres d’ornement comme le charme, le mûrier, ou le robinier, par exemple ont besoin d’un espace vide de 3m à 5m autour d’eux.

–    Le tilleul, le chêne, le hêtre et l’érable ainsi que les grands conifères auront besoin d’encore plus d’espace : environ 10 mètres !

Pour planter une haie

–    De buis : laissez 30 centimètres entre chaque plant

–    De charme, de cyprès ou de laurier : laissez 80 cm entre chaque plant

–    D’arbustes à fleurs comme le forsythia, le weigelia ou décoratifs comme le noisetier, le cornouiller, le photinia : laissez 1 mètre entre chaque plant, pour que la haie garde un petit air « naturel », et que les fleurs ou les fruits puissent s’épanouir.

3.    Mieux vaut laisser la plantation de forêts aux mains des agronomes

Et oui, c’est triste à dire mais nous ne sommes pas tous des Elzéard..

J’aime trop les forêts et je connais trop leur complexité pour vouloir en « planter une à la va-vite ».

Parfois, c’est vrai, je dépose quelques glands en terre pendant mes promenades. Peut-être un futur chêne, près des siens.

A ma petite échelle, humaine et réfléchie, je sais que ça ne fera aucun mal.

À très vite,

Mathilde Combes

Sources :

[1] Pendant son discours sur l’état de l’Union : https://edition.cnn.com/2020/02/04/politics/ trump-2020-state-of-the-union-address/index.html

[2] ADAMS Ansel, Mots prononcés pendant l’inauguration des plantation dans la prairie de la Golden Gate National Recreation Area, disponible sur : https://jgpausas.blogs.uv.es/2019/10/17/afforestation-is-not-a-solution-to-mitigate-co2-emissions/