Est-ce que vous saviez qu’on pouvait manger ça :

lichen 1

Parce que moi… pas du tout.

Du lichen des bois, tout juste arraché à sa branche, ça ne me disait pas grand-chose.

Pour moi, les lichens avaient le charme bizarre des champignons toxiques : couleurs pétantes et enlacements compliqués. Je les ai toujours trouvés étrangement beaux, mais limite inquiétants.

lichen 2

Bref : je ne me serais jamais amusée à en cueillir.

Il y a tout juste une semaine, j’ai découvert qu’en Norvège, on le préparait comme un légume. En bouillon clair, frit, ou juste mélangé à la pâte du pain, pour lui donner un goût plus profond.
Pendant l’hiver, pour réchauffer le corps.

Ça m’a donné envie d’essayer…

Bouillon de forêt

C’est devenu un ingrédient hyper recherché dans les cuisines ces dernières années.

Il capte le parfum des écorces, des sous-bois et des pierres sur lesquels il grandit, (presque comme une éponge) et parfume les préparations avec ce goût de sous-bois qu’on trouve difficilement ailleurs, à part dans quelques champignons.

Vous faire un bouillon de lichen, c’est comme préparer un condensé doux des goûts de la forêt : résine, racines, sève et pluies.

Les premiers à le populariser ont été les chefs des pays nordiques, où on mange des lichens depuis des siècles.
Comme il pousse sous les températures les plus extrêmes (jusqu’à -70°C, sous la neige, le vent, le gel…) c’est un des rares aliments qu’on pouvait encore récolter au beau milieu de l’hiver, en temps de famine, et cuisiner quand rien d’autre ne poussait.

Pour les hommes comme pour les troupeaux de caribous, qui ne se nourrissent presque que de ça à la saison froide, il remplit le ventre et régénère le corps.

Petit à petit, les cuisines d’un peu partout dans le monde se sont mises à ressortir les vieilles recettes norvégiennes et suédoises de leurs tiroirs :

lichen 3
Lichen en bouillon                           Lichen frit et pommes de terre au four

5000m d’altitude, 70°C, 2 guerres et 3 générations : il en faut beaucoup pour le tuer

Vous l’avez peut-être déjà remarqué avec les plantes de la montagne : plus une espèce vit en milieu hostile, plus elle développe de principes actifs pour survivre, et donc plus elle est intéressante sur le plan médicinal.  

Et le lichen est particulièrement coriace : il a en lui de quoi résister aux vagues de froid mais aussi aux longues périodes de sécheresse, aux bactéries pathogènes, aux prédateurs … Il pousse aussi jusque dans les déserts (à plus de 70°C), et peut survivre des mois sans la moindre goutte d’eau.

Une expédition a retrouvé un spécimen vieux de 1000 ans a 5000m d’altitude, sur l’Everest.

Imaginez ses ressources, pour pouvoir survivre dans de telles conditions ! Comme il n’a pas d’épines, de poils ou de stratégies de dissimulation, ce qui lui permet de se défendre des envahisseurs, ce sont seulement ses principes actifs…

Ce sont eux qui intéressent de plus en plus l’industrie pharmaceutique.

Cicatrisant, anti-inflammatoire, anti-viral : le petit médecin des forêts

Les lichens sont tellement riches en composés antibactériens, antifongiques et antiviraux qu’ils servent souvent de « pansements » aux arbres de la forêt, comme ici :

lichen 4

Quand une souche ou une branche est coupée, vous verrez probablement toute une colonie de lichen se développer sur la blessure, comme pour cautériser la plaie… Ils remplacent l’écorce, pour protéger le tronc nu des agressions des UV, des intempéries et des parasites.

C’est exactement pour ces vertus protectrices que l’industrie pharmaceutiques s’intéresse à eux ! 

On a reconnu en laboratoire les propriétés antivirales tous les lichens du genre Umbellicaria, contre le virus de la grippe notamment.

Les dernières études lui ont trouvé des substances insecticides, anti-inflammatoires et antibiotiques dans les lichens Usnea longissima, hyper efficaces dans les affections pulmonaires par exemple…

De soigner les forêts, à soigner les humains, il n’y a qu’un pas, on verra dans les prochaines années si la recherche le franchit 🙂

Il ne pousse que là où l’air est pur

En attendant, si vous voulez en trouver, je n’ai qu’un seul conseil à vous donner : allez là où l’air est pur.

Comme ils captent ce qui flotte dans l’air, sur les troncs d’arbres et les roches pour vivre, ils sont particulièrement sensibles à tous les types de pollution atmosphérique.

Résultat : ça m’étonnerait beaucoup que vous en voyiez en ville, ou dans une zone industrielle, aux abords d’une autoroute… Alors qu’ils poussent littéralement partout dans les bois protégés des campagnes préservées, il suffit de détacher vos yeux du chemin pour en trouver.

Il y en a quand même un plus facile à trouver (et à manger) que les autres

Attention, parce qu’il n’y en a que quelques-uns comestibles. Les autres sont très amers, parfois toxiques, et pas forcément très bons au goût.

Sous nos latitudes, la star des lichens, c’est lui :

lichen 5

Le lichen Évernie du prunelier (Evernia prunastri)

Il a un petit arrière-goût sucré, en plus de son agréable parfum de sous-bois.

C’est le lichen le plus répandu sous nos latitudes, particulièrement sur les branches des chênes, des prunelliers, des cèdres… La face du dessus est gris-vert, tandis que celle du dessous est nettement plus claire : gris-blanc.

Pour le manger, voilà la recette que j’ai essayée, et que je trouve vraiment pas mal !

Des beignets de lichen croustillants.

1.    L’étape la plus importante, pour tous les lichens, c’est d’abord de bien les faire bouillir, au moins une vingtaine de minutes, pour se débarrasser de son amertume et des acides indigestes qu’ils contiennent quand ils sont crus. Vous pouvez aussi le laisser macérer dans un bol d’eau froide 1 h ou 2 avant de le cuire, si vous voulez être sûr de le débarrasser des résidus de mousse, etc.

2.    À la fin de la cuisson, vous pouvez récupérer l’eau de cuisson pour vous faire un bouillon (avec quelques légumes et un peu de gingembre, je trouve que ça ressemble un peu à un bouillon thaï).

3.    Égouttez votre lichen bien cuit et roulez-le dans la maïzena (c’est mieux que la farine, parce que c’est plus fin, ça le rendra bien croustillant), avant de le plonger 2 minutes dans une huile à 180 degrés.

Il devrait ressortir croustillant de votre friteuse et avoir une couleur un peu plus claire. Vous pouvez saupoudrer ça sur vos salades, vos soupes, vos tartines au fromage frais : ça change et c’est bon.

Voilà, j’espère que vous regarderez autrement ces petites éponges bizarres qui poussent un peu partout dans nos sous-bois, parce qu’elles en valent la peine !

À très vite,

Mathilde Combes