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La leçon de l’acacia

Prenez-moi pour une folle si vous voulez mais depuis toute petite je suis persuadée que le monde végétal est intelligent.

Je ne sais pas combien d’heures j’ai passées penchée au-dessus de tapis de mousse ou de touffes de pâquerettes pour essayer de comprendre comment elles faisaient…

J’avais l’impression qu’elles savaient quand il fallait fleurir, se déplier pour attraper les derniers rayons du soleil ou se recroqueviller en prévision du froid de la nuit.

Eh bien, trois études récentes me font penser que mon intuition était bonne : les plantes pensent. [1]

La stratégie des tanins toxiques

Au milieu des 1980, dans une petite région d’Afrique du Sud, plusieurs ranchs sont touchés par les morts en série des antilopes qu’ils élèvent.

C’est bizarre car : [2]

  • Les éleveurs leur donnent suffisamment à manger
  • Ils remplissent régulièrement leurs abreuvoirs d’eau fraîche
  • Les conditions climatiques sont identiques à celles des années précédentes…

Mais rien n’y fait : ces antilopes d’élevage continuent de mourir.

Un zoologue, Zouter Van Hoven, se met à étudier le sujet en détail.

Au bout de quelques semaines, il se rend compte que toutes les antilopes sont mortes intoxiquées.

Leur foie est saturé de tanins toxiques…. contenus dans les feuilles des acacias qui poussent dans leur enclos. [3]

Pourtant, c’est une espèce d’acacia que les antilopes sauvages ont TOUJOURS mangée jusqu’ici. 

Pourquoi la même plante était-elle soudainement devenue toxique ?

Quand les plantes se « passent le message »

Réponse du zoologue : en reconnaissant progressivement la salive des antilopes, les acacias se sont mis à produire d’énormes quantité de tanins toxiques à haute dose… pour repousser l’envahisseur et éloigner les antilopes de leurs jeunes feuilles encore tendres !

En plus de ça, ils « préviennent » les acacias environnants du danger, en émettant dans l’air alentour de l’éthylène, signal qui déclenche chez eux aussi le mécanisme de protection !

Normalement les antilopes décèlent ces toxiques.

Cela les force à trouver à manger ailleurs, plus loin.

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A l’état sauvage, c’est ce qu’elles font : elles remontent les massifs d’acacia contre le sens du vent, jusqu’à trouver des arbres et arbustes qui n’ont pas été « prévenus » de leur arrivée.

Sauf qu’en élevage… impossible de remonter dans le sens contraire du vent : les antilopes se heurtent aux limites de leur enclos !

Les voilà obligées de se nourrir des acacias qu’elles trouvent… sous leurs yeux, chargés en tanins toxiques et mortifères.

Ce que nous dit l’acacia : rouvrir les yeux

Pour moi, cette histoire est une sorte de leçon.

1. Si on veut vivre avec et dans la nature, la première chose à faire est de bien l’observer.

Si les éleveurs avaient compris comment s’équilibre l’écosystème de la savane, ils n’auraient pas perdu la moitié de leur troupeau. C’est l’immobilité qui a condamné ces antilopes à la mort : les éleveurs ont « imposé » leur organisation en perturbant le cycle naturel qui leur préexistait.

2. Mieux vaut imiter la nature qu’essayer de la contraindre

Quand on essaie de domestiquer le monde sauvage (animaux ou plantes, d’ailleurs), la meilleure façon de le voir grandir et prospérer est d’imiter son rythme, ses mécanismes et ses associations.

Il aurait suffi de déplacer régulièrement l’enclos des antilopes, de « recréer » le mouvement qu’elles suivent à l’état naturel pour leur éviter la mort.

C’est exactement pareil pour les plantes : plus vous observerez et « imiterez » le milieu naturel d’origine d’une espèce (température, espèces qui poussent autour, sol…), mieux elle poussera chez vous.

Par exemple, si vous voulez faire pousser de la mousse ou des fougères des bois chez vous, mettez-les toujours dans une pièce qui reproduit l’humidité et l’obscurité des sous-bois : la salle de bain, par exemple.

Mettez-la de force dans une terre sèche, ou dans une pièce éclairée : elle mourra en à peine quelques semaines.

3. Pas besoin d’instruments scientifiques pour comprendre la nature, il suffit de regarder attentivement

Je suis toujours étonnée de la complexité des outils qu’il faut mettre en place pour arriver à des conclusions aussi simples.

Finalement, beaucoup d’études très élaborées arrivent à des résultats de « bon sens ».

  • L’étude dira que la fougère a besoin « d’un taux d’hygrométrie constant » et que l’antilope « se déplace toujours à 180° dans un mouvement rectiligne et inverse au couloir venteux » ;
  • L’œil dira que la fougère que je vois dans les bois est toujours un peu humide, et que les antilopes ont l’air d’avancer dans le sens contraire du vent.

Avec des mots moins compliqués, on peut faire des observations moins « précises » mais tout aussi vraies. 

Soyez attentifs avec vos plantes.

Pour cela ouvrez simplement vos yeux.

Comme quand vous regardiez les pâquerettes quand vous étiez enfant.

Vous ferez de meilleures récoltes. Vous ne ferez pas mourir la moitié de votre troupeau.

A très vite,

Mathilde Combes

Ps : Et vous ? que la nature vous a-t-elle appris ?
Répondez-moi en cliquant ici, ça m’intéresse beaucoup.

 

Sources :

[1] COCCIA Emmanuele, L’intelligence des plantes, FÈVRE Anne-Marie, « L’accacia tueur en série », Libération, 22 Mars 2003
[2] HOVEN , Wouter van. 1991. « Mortalities in Kudu (Tragelaphus Strepsiceros) Populations Related to Chemical Defence in Trees ». Journal of African Zoology,
[3] HALLÉ Francis, Du bon usage des arbres, Actes Sud 2011, FÈVRE Anne-Marie, « L’accacia tueur en série », Libération, 22 Mars 2003